Quelle place pour l’humain dans le système ?


Nos enfants ont-ils davantage besoin d’une réforme des titres et fonctions dans l’enseignement, ou de profs motivés, bienveillants et enthousiastes dans leurs classes ?

 

Une prof dans une étable

J’ai fait la connaissance d’Aurélie en jouant aux Playmobils, dans le foin d’une étable, dans la banlieue de V. Non, nous n’étions pas gosses… C’était il y a quelques mois. Elle était prof ; on avait organisé une rencontre entre nos deux groupes d’enfants dans une ferme et avec des Playmobils. La passion obsessionnelle d’un de ses élèves, Louis*, qui en possède plus de 1.000 pièces. A l’école, il ne parle que de ça, avec enthousiasme et précision, du matin au soir, du lundi au vendredi.

Moi, j’accompagnais notre petite troupe de cinq enfants instruits en famille – ma fille et des copains/copines. Ce n’était pas la première rencontre, il y en a eu plusieurs au cours de l’année scolaire écoulée, suscitées par la volonté commune des deux amies Aurélie et Fanny, une autre maman de notre petite troupe, de faire des activités communes. Il y a ainsi eu une après-midi cueillette de pommes dans le verger ; une visite d’éolienne à Waimes ; la découverte du parcours des fontaines à V. ; la construction de mangeoires pour oiseaux...

Aurélie est une fille spitante. Elle ne tient pas en place ; elle a la banane en permanence – vous savez, ces gens qui sourient tout le temps, la bouche jusqu’aux oreilles et les yeux rieurs. Alors, ses élèves, elle les emmène hors des murs de son école, elle se bouge pour et avec eux. On la sent proche d’eux, et eux en pleine confiance avec elle. 

Cet après-midi-là, les enfants des deux groupes jouent ensemble à la ferme en miniature, avec les Playmobils que Louis, après un peu de réticence, accepte de prêter à tous. Tandis qu’on construit à même le sol des prairies et des barrières avec des brins de foin – après un débat entre enfants : faut-il enfermer les animaux ou pas ? Il y a du pour et du contre… –, qu’Aurélie photographie ses élèves heureux, en action, je papote avec Louis. Ses yeux brillent en parlant de sa collection, du catalogue qu’il  connait par cœur, des nouveaux Playmobils qu’il demandera pour Noël…  Bref, tout baigne, tout est bien, pour tous. On finit l’après-midi en visitant la ferme, les enfants prennent les lapins dans leurs bras, nourrissent vaches et poules… Puis on partage un morceau de gâteau sur le pouce, et déjà Aurélie file avec ses élèves pour être à l’heure à l’école.

Vous l’aurez compris, Aurélie exerce son métier avec passion – plus encore : avec son cœur. C’est précieux, non, des profs qui exercent leur métier avec leur cœur ? Ca fait du bien, non, aux enfants d’être pris en charge par une prof bienveillante et rayonnante ? Et quand ces enfants sont déjà fragilisés ou malmenés par une maladie, un trouble, la précarité ou l’exclusion, ça fait encore plus sens, non ? Des profs comme ça, qui se bougent et s’investissent, pour l’épanouissement de ces jeunes, on applaudit à deux mains, non ?

Une prof au chômage

La suite de l’histoire est moins drôle. Six mois après, le rideau est tombé. Notre amie, Fanny, m’apprend qu’il n’y aura plus de sorties communes l’année prochaine. Aurélie n’est plus prof. Elle a perdu son boulot… et aura bien de la peine à retrouver une place, apparemment. Je tombe des nues. J’écoute ce que Fanny m’en dit… et m’insurge. Je contacte Aurélie : j’ai envie d’agir. Par exemple : d’écrire et diffuser son récit. Alors, à partir d’ici, accrochez-vous : les subtilités, complications et autres incohérences administratives commencent…

Donc, en débutant sa carrière dans l’enseignement, Aurélie dispose du CESS (Certificat d’Enseignement Secondaire Supérieur) et du CAP (Certificat d’Aptitude Pédagogique) ; elle a obtenu ce dernier en juin 2008. De septembre 2008 à juin 2017, elle travaille dans l'enseignement à temps plein, sans discontinuer. Malheureusement, son CAP n'est pas reconnu par la Communauté Française (devenue Fédération Wallonie-Bruxelles entretemps…) – mais, dis-moi Aurélie, je ne comprends pas, pourquoi ? Tu l’as effectué à l’étranger, dans un pays inconnu de la Fédération Wallonie-Bruxelles ? « Ah non, pas du tout : je l’ai suivi à Jonfosse en tant que surveillant-éducateur, n'ayant pas de formation particulière (uniquement mon CESS de l’enseignement secondaire) ; le diplôme est identiquement le même pour tous ceux qui ont suivi les cours… » Oui mais pourquoi la FWB ne le reconnait-il pas ? Aurélie me dit que c’est parce qu’elle n’a pas de formation professionnelle mais uniquement son diplôme d’études secondaires ; elle a suivi son CAP en tant que surveillante-éducatrice – je vous avoue que j’ai du mal à suivre ce raisonnement administratif un peu subtil mais soit, passons à autre chose. Car quand je lui demande plus d’explications pour vraiment comprendre, Aurélie elle-même ne sait plus quoi dire…

Du coup, elle a toujours été considérée comme Article 20. Je ne connais pas : ça veut dire quoi ? Ca veut dire qu’on n’a pas les titres requis pour la fonction occupée dans l’enseignement. Aurélie me dit que quand on l'est (Article 20), on n'est pas vite nommé... et elle encore moins que les autres : en effet, dans le but de pouvoir la garder dans leur établissement (c’est donc qu’elle faisait du bon boulot, non ?), certains directeurs l'ont engagée dans une fonction tout en en indiquant une autre sur les documents officiels. Les trucs, astuces et bouts de ficelle des gens du terrain… Bien joué ? Pas sûr : bien qu’elle ait parfois travaillé plusieurs années dans une même fonction, celle-ci n'était pas écrite sur les documents ... « Donc, aucune année ne pouvait être comptabilisée dans mon ancienneté.... Raison pour laquelle, après neuf ans de service, j’en suis tout bonnement à zéro année d'ancienneté ». A ce stade du récit, Aurélie s’interrompt et s’enquiert de savoir si je la suis. Euh… Ce qu’elle me raconte, oui, mais la logique du système… Pas franchement.

Une prof et sa carrière

Bon, on va dans les détails, maintenant. Un parcours de prof parmi tant d’autres, que l'on reprend depuis le début. La première année, Aurélie est engagée comme surveillante-éducatrice à l'Athénée Royal de S. Une très belle année, de bons rapports avec collègues et élèves, une directrice désireuse de la garder l'année scolaire suivante... mais sans résultat probant. Pourquoi ? Parce qu’elle était Article 20, et qu’on ne pouvait pas la faire passer « devant d’autres » qui eux, avaient les diplômes…

Ensuite, après un bref remplacement comme éducatrice interne à l’Athénée Royal de W., elle y est très vite engagée pour remplacer la bibliothécaire de l'école. Elle y reste six ans... mais sans jamais être officiellement reconnue comme bibliothécaire. « Un pan de ma vie absolument merveilleux, dans lequel je me suis épanouie grâce à l'immense liberté qui m'a été octroyée par le Préfet de l'établissement. Outre la gestion de la bibliothèque, j'organisais des sorties – cueillette de champignons, pêche dans la mare, voyages scolaires des rhétos, concours en tous genres : d'écriture, de bricolages, de vidéos, de scrabble, spectacles pour la fête de l’école... et j'en passe. »

Le Préfet aura tout fait pour la garder le plus longtemps possible. Avec toutes les entourloupes qu’il pouvait utiliser : des heures NTPP, des contrats qui changent de nom d’année en année pour éviter qu’une personne avec plus de diplômes (ou le « bon » diplôme) vienne chasser Aurélie de la place qui lui convenait à merveille… Aurélie marque un temps d’arrêt dans son récit ; elle hésite un instant avant de continuer. « Je ne sais pas si ça peut être divulgué mais, quand il s'est aperçu qu'il ne pourrait plus rien pour moi et qu'en plus, il allait cesser ses fonctions.... il m'a dirigée vers l'Enseignement Spécialisé, où, m'a-t-il expliqué, j'aurais plus de chances de rester, voire d'être nommée... »

Mais, me dit-elle, il l'y a envoyée un peu trop tard... Car la réforme des titres et fonctions était déjà passée. Venons-en donc à ces deux dernières années scolaires : le but était qu’Aurélie soit engagée comme éducatrice, dans sa vraie fonction. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu (ou espéré) : elle n'a eu qu'un jour sur cinq de travail en tant qu’éduc. Le directeur de son nouvel établissement lui a alors proposé, quand est apparu ce nouveau cours, des heures d'EPA ­– Encadrement Pédagogique Alternatif, plus communément connu par le grand public sous le nom de « cours de rien » –, en plus de son rôle d'éducatrice un jour semaine...

« Dans un premier temps, quitter W., ce milieu parfait, ces élèves parfaits, dans un cadre parfait pour arriver à S., dans un enseignement spécialisé... j'ai regretté ! Pourtant, très vite, j'ai aimé ! Aimé ces gosses, ces semi-délinquants, ces enfants de milieux précarisés, en difficulté scolaire, en difficulté mentale... Très vite, je me suis adaptée à la situation ; c'était une telle opportunité pour moi de faire....ce que je voulais, ce en quoi je croyais ! » Et oui, Aurélie n’a jamais aimé l'autorité, elle n’a jamais compris le système scolaire tel qu'il fonctionne chez nous.... Elle dit n’avoir jamais aimé l'école tout court ! Paradoxal, pour une prof ? Pas si sûr… Comme d’autres, Aurélie ne serait-elle pas avant tout actrice de changement, dans un système qui en a grandement besoin ?

Donc, à partir de ce moment, Aurélie essaye d'enseigner les choses à sa manière... Il faut savoir, me dit-elle, que ce cours d’EPA n’existait pas vraiment, qu’il était le fruit d’un décret mal ficelé et qu’il ne possédait aucun programme. Elle l’a donc créé de toutes pièces pour ses différentes classes et ses nouveaux élèves, en expérimentant avec enthousiasme et créativité. « J'ai été mal vue l'année scolaire suivante...C'est clair ! Non seulement j'ai à nouveau eu un horaire complet en tant que prof, mais beaucoup d'élèves des cours de religion et morale ont quitté leurs profs ... pour venir chez moi ! » Elle a donc eu « l'image et pas le son » de ses collègues tout le restant de l'année... « Mais vraiment, je m'en fichais royalement. Les gens qui ne comprennent pas que transmettre aux enfants l'envie d'apprendre, ce n'est pas les coller devant un film ou des mots fléchés rébarbatifs ne m'intéressent pas. »

Ce qui l’intéresse, alors ? Les retours qu’elle a de ses élèves – qui lui écrivent même pendant les vacances. Leur reconnaissance, et le sentiment de leur avoir appris des choses... Ca, ça la motive au-delà de tout. Dans l’enseignement spécialisé, ces deux dernières années, elle avait neuf classes (de deux à 14 enfants) et tous types d'élèves. Elle a entrepris neuf projets différents, dans chacune de ses classes... Et ces projets ont été renouvelés, avec ses élèves, chaque trimestre. Elle dit s’être intéressée à chacun d’entre eux, personnellement. Et avoir eu la chance de pouvoir le faire parce que dans l'enseignement spécialisé, les classes sont petites ! Et qu’il est alors facile de se rendre compte qu'un enfant, quand on l'intéresse aux choses concrètement, qu’on l’implique et qu’on lui permet de bouger... il avance, progresse et apprend. C’est évident.

Une prof sans avenir ?

Le contrat d’Aurélie, dans lequel elle s’est tant investie, s'est terminé le 8 juin dernier. Tout simplement parce que le directeur – remplacé par une directrice en cours d'année –, qui désirait garder plusieurs personnes de son personnel, a pu le faire un temps grâce à l’écartement de deux enseignantes enceintes. Il s'agissait donc de remplacements en cascade ; lorsque ces deux enseignantes sont réapparues fin d'année... la dernière de la liste (Aurélie) a pu faire ses adieux. Sans espoir d’être réengagée dans son école, car elle n’a pas le titre requis pour continuer à enseigner le cours de citoyenneté (l’EPA disparaît…) ; sa directrice ne voit plus, à l’heure actuelle, de truc, astuce ou entourloupe possible pour contourner le décret et la réengager.

Pourtant, quand elle a appris qu’une formation allait être organisée pour pouvoir donner le nouveau cours de citoyenneté, elle s’est dit qu’elle était tirée d’affaire : avec son CAP, ce serait parfait ! Hélas : « Cette formation m'est tout bonnement interdite… Alors que j’ai donné un cours similaire durant deux années consécutives ! Alors qu'il n'était donné que dans très peu d'écoles ! » Elle ne peut pas se « mettre à jour » (au sens administratif du terme, évidemment, vous aurez compris que pour le contenu, ça roule...) via cette formation pour continuer à enseigner, car elle n’a pas de graduat. Retour à la case de départ.

Aujourd’hui, Aurélie s’insurge et s’indigne – elle ne sait plus à quelle porte aller frapper, non plus. Elle a reçu multitude de réponses des différentes personnes qu’elle a interpelées, sans relâche. Informations parfois contradictoires, lacunaires, erronées… Mais concrètement, elle n’a trouvé aucune solution pour continuer, dès cette rentrée, à enseigner. La seule possibilité qui lui semble désormais réservée, malgré ses neuf années d’enseignement sans discontinuer et sans faiblir dans sa motivation et son investissement ? Retourner sur les bancs de l’école, faire l’école normale. Avec des allocations de chômage dégressives… Pas évident comme perspective, pour une maman seule avec son enfant.

Elle me montre le rapport que lui a rédigé sa dernière directrice : « Il est magnifique – comme tous ceux que j'ai eus à W., soit dit en passant ». Alors oui, elle se (et me) dit : « Cette réforme, qui a subitement décidé que tous ceux qui ne possédaient pas les titres requis devaient retourner trois ans sur les bancs de l'école, préfère donc virer des gens qui étaient compétents, grâce à leur expérience, et satisfaisaient pleinement leur direction, pour en garder (et nommer! ) d’autres, sous le seul prétexte d'un morceau de papier... C’est hallucinant ! Quel est, à l’heure actuelle, pour les gens qui votent ce genre de décret, le but de l'enseignement? C'est ce que je me demande... »

Elle qui a tout fait « différemment »... qui a appris son métier sur le tas, qui a montré à ses employeurs, ses élèves et leurs parents un engagement sans faille, pour la plus grande satisfaction de tous, va donc être amenée à retourner faire des études ? Que va-t-elle y apprendre : « sans doute que mes méthodes ne sont pas les bonnes ? » Puis Aurélie reprend : « C’est ça qui me rend dingue… A la limite, on me dirait que je ne suis pas compétente et que c’est pour cela qu’on me vire, je comprendrais… Mais là, tous mes rapports sont super positifs, depuis le début de ma carrière, alors quoi ? » En discutant, je l’interroge : pour éviter de retourner aux études pendant trois ans, ne serait-il pas plus simple de chercher un boulot ailleurs, toujours en contact avec les enfants, par exemple dans l’associatif ? Aurélie est formelle : elle ne veut pas faire autre chose que l’enseignement ! Elle aime ce qu’elle fait, et n’a pas envie d’autre chose. Elle a travaillé dans différents domaines au début de sa vie active, mais c’est dans l’enseignement qu’elle se plaît le mieux, qu’elle a le sentiment d’être utile, d’apporter quelque chose aux autres… Tout ça, ça lui parle.

Une prof isolée ?

Aurélie est-elle un cas isolé ? Nous ne le pensons pas. Rien que dans son entourage direct, elle me cite plusieurs exemples d’amis ou collègues qui se trouvent dans le même genre de difficultés depuis la rentrée de septembre. Elle me parle d’une collègue « surdiplômée », qui a fait dix ans d’université, et suit actuellement une nouvelle formation pour pouvoir continuer dans l’enseignement spécialisé, où elle a « trouvé sa voie », même si ça ne correspond pas à sa formation initiale. Ou d’une amie, qui enseigne depuis  13 ans en promotion sociale, et ne pourra plus donner certains cours qu’elle a pourtant dispensé toutes ces années. Le plus ironique étant que la prof amenée à la remplacer…  vient lui demander ses notes pour pouvoir construire son nouveau cours. Cherchez l’erreur…

Aurélie me dit que si elle peut comprendre qu’on veuille mettre de l’ordre au statut et aux conditions d’accès à l’enseignement, elle trouve dommage de faire une réforme avec effet rétroactif pour tous les gens déjà en place – ou alors, il faudrait leur donner la possibilité de suivre une formation pour se mettre en ordre. Mais les renvoyer sur les bancs de l’école ou leur bloquer définitivement l’accès à leur profession… Voilà qui est assez disproportionné, et parfois très précarisant au niveau de leur situation personnelle (financière, familiale…).

Une prof malgré tout reconnaissante

A plusieurs moments, Aurélie insiste : « Ecris bien que je ne reproche pas absolument tout au monde de l’école ! Je suis vraiment reconnaissante qu’on m’ait engagée, que j’aie pu y travailler et trouver mon bonheur toutes ces années sans les titres requis, qu’on ait fait tant efforts pour me garder… » Elle s’estime chanceuse d’avoir été engagée sans titre requis, mais maintenant qu’elle a fait ses preuves et qu’elle a des rapports hyper positifs dans son dossier, pourquoi ne peut-on plus la garder ? « Je ne critique pas tout, et je voudrais que cela soit mis en avant dans l’article : je suis très reconnaissante de ma carrière jusque maintenant ! Vraiment ! »

En relisant ce qu’elle m’a raconté de son parcours, elle a parfois l’impression – qui la met mal à l’aise – qu’elle se jette des fleurs… Alors elle précise : « Je ne voudrais pas qu’on s’imagine que ce que je faisais était parfait et que je critique les autres… C’est juste que je veux continuer à exercer le métier que j’aime et pour lequel je conviens, et que je ne comprends pas pourquoi sur base d’un papier ce n’est maintenant plus possible. » Elle a gommé aussi certaines histoires liées d’anciens collègues « planqués » ou « qui s’en foutent », ne voulant froisser personne.

De même, bien que le franc-parler soit un trait de la personnalité d’Aurélie qui saute aux yeux… et aux oreilles, elle hésite parfois sur les détails à divulguer, revient sur des confidences – tout à fait véridiques – liées à ses statuts successifs, aux astuces et entourloupes utilisées par sa hiérarchie pour l’embaucher et la garder toutes ces années… Sa crainte ? Mettre ces personnes qui l’ont engagée et aidée dans l’embarras, dévoiler un fonctionnement largement répandu dans les écoles qui doit être tu auprès des ministères… Je plaide pour décrire ces pratiques, qui flirtent parfois peut-être avec la stricte légalité, tout en maintenant l’anonymat des personnes et des lieux : si cet article existe, c’est bien pour exposer une situation de terrain – parmi tant d’autres –, dans toutes ses facettes. Pour montrer à quoi les directeurs et enseignants motivés par leur boulot doivent faire face, avec quoi ils se débrouillent. Quitte à mettre une future nomination en jeu ; quitte à prendre un peu de liberté avec les directives de l’Administration.

Une prof emblématique d’un système qui va mal

Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire d’Aurélie ? Parce qu’elle illustre parfaitement à quel point le système scolaire va mal, très mal. Parce qu’on y perçoit très clairement le décalage entre les décisions prises par l’Administration et le Parlement d’une part, et la réalité de terrain d’autre part. Parce que nous ne doutons pas un seul instant que cette Administration et les représentants politiques souhaitent améliorer la qualité de l’enseignement, mais par contre nous doutons que ce genre de réformes soit la meilleure manière pour y parvenir. Enfin, avant tout, parce que nous sommes las de voir les aspects humains – la relation authentique d’une prof avec ses élèves, l’épanouissement des enfants à l’école, le libre choix des directeurs d’enseignants motivés et compétents… – bafoués et malmenés par des dispositifs administratifs alambiqués.

C’est pourquoi nous nous demandons : pourquoi le système (scolaire en l’occurrence) a-t-il tant de mal à laisser place à l’humain (incarné par des profs comme Aurélie) ? A quand l’avènement d’un système qui puisse, au contraire, se mettre au service de l’humain, et reconnaître et valoriser tous les gens qui font leur métier avec cœur et passion ? A quand un système scolaire résolument au service de l’humain, préservant et choyant ses enfants, favorisant leur épanouissement et leur joie de vivre, plutôt que l’Excellence, la compétition et l’exclusion ? Si l’on se place du côté des enfants, de quoi ont-ils davantage besoin : d’une réforme des titres et fonctions dans l’enseignement, ou d’enseignants motivés, bienveillants et enthousiastes dans leurs classes ? Quels sont les vrais ingrédients et les vrais besoins pour leur laisser des souvenirs marquants, des élans émancipateurs… Bref, pour leur donner envie de grandir, de devenir adultes et de prendre une place active dans la société ?


Comme le relate Julie Bazinet dans son livre « Eduquer les enfants avec la psychologie positive », les recherches ont montré la corrélation existant entre l’enthousiasme de l’enseignant et la vitalité des élèves en classe, ainsi que leur motivation intrinsèque vis-à-vis des apprentissages. Ces mêmes recherches attestent que « la motivation des élèves et leur attitude envers l’école sont étroitement liées avec la relation qui se tisse entre eux et leur enseignant »… Un enseignant épanoui transmet sa joie, sa bonne humeur et son enthousiasme et crée ainsi un bon climat de classe qui favorise à son tour les apprentissages… Au contraire, exposer les enfants à des « jeux de chaises musicales » parmi leurs enseignants et leurs cours, pour des raisons administratives et/ou politiques tout bonnement incompréhensibles à leurs yeux, est donc franchement dommageable. Encore plus quand ces enfants ont déjà été malmenés dans leur parcours, et que des enseignants engagés tentent de remettre sur pied, voire de « tirer vers le haut », par des cours taillés sur mesure pour eux. Nous n’aimons cependant guère ce genre de comparaison entre « enfants du général » et « enfant du spécialisé »… Car tous, sans exception, méritent d’être entourés et encadrés par des personnes inspirantes, bien dans leur peau et dans leur fonction, qui puissent veiller au bien-être et à l’épanouissement des enfants qui leur sont confiés.

D’aucuns nous reprocheront une vision naïve, voire utopique pour l’école et son organisation. Les mêmes, ou d’autres, défendront les bienfaits du fameux décret portant sur les titres et fonctions dans l’enseignement. Il n’empêche : il nous semble urgent de mettre à l’avant du débat non pas la forme – le fonctionnement administratif d’un système scolaire complexe – mais le fond – les visées pédagogiques et humanistes d’une école qui puisse être un lieu d’épanouissement et d’émancipation pour tous. Au sein de laquelle les adultes pourraient certes jouir d’une certaine sécurité d’emploi – mais l’exemple du parcours d’Aurélie illustre bien à quel point c’est loin d’être le cas pour tout le monde… –, sans pour autant empêcher les directions d’engager des personnes motivées, bienveillantes, qui exercent leur métier avec passion. L’eussent-elles appris sur le tas… Car­ l’apprentissage par la pratique, le tâtonnement expérimental et l’écolage par les pairs ne sont-ils pas les fondamentaux de toute pédagogie active ?

Puisse cet article, à sa manière et avec l’usage qui pourra en être fait par les personnes qui se sentent en résonance avec son contenu, contribuer à faire avancer le débat dans le sens d’une plus grande place pour l’humain au sein des écoles. Professeurs, directeurs, employés, enfants et parents… Chacun à son niveau a le droit fondamental, nous semble-t-il, de choisir une école, d’exercer son métier, de recruter et gérer du personnel ou encore d’être scolarisé dans des conditions d’épanouissement et de sécurité (matérielle et affective) dignes de ce nom ! Ce sont là les bases minimales indispensables pour répondre pleinement aux missions d’une école du XXIe siècle que nous souhaitons résolument humaniste.

Pour joindre Aurélie : aure2402@hotmail.com

* Prénom d'emprunt. 

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