Des "marchés conclus", le bus et la marche...

Hier soir, elle (9 ans et demi) m'informe d'un « marché conclu » passé avec son frère (presque 14 ans et qui, pour l'instant, ne va que deux jours par semaine à l'école) : « demain je mets mon réveil à 7h00 comme d'hab, je me secoue pour me réveiller, puis je vais réveiller Valentin, on s'habille et tout ça, et puis vers 8h47-48, par là, on va à pied prendre le bus et il m'accompagne jusqu'à l'école... » Il rigole et rectifie : « oui, enfin plutôt vers 7h47-48, pour le bus, sinon tu seras un peu en retard à l'école ! »

Ainsi dit, ainsi... presque fait ce matin. Ca marche plutôt bien.On checke tout : collation ? tartines ? gourde ? carte de bus ? veste au cas où parce qu'on annonce de la pluie ? Et puis ils sont go. J'aime leurs initiatives ! J'aime les voir partir « comme des grands » ! (Mince ! En fait c'est pas comme... Ils sont réellement grands !)

Vers 8h35, le frangin est de retour. Déjà ? Oui, mais en fait ils ont été à pied, parce qu'en arrivant à l'arrêt de bus ils se sont rendus compte qu'ils n'avaient pas... leurs masques. Discussion entre eux, que faire ? Attendre et demander au chauffeur, parce que « quand même, j'étais pas sûr que c'était obligatoire parce qu'une fois j'ai vu quelqu'un qui n'avait pas de masque... » ? Ils choisissent de continuer et rejoindre l'école à pied. Valentin me dit qu'il a laissé sa soeur « pas très loin de l'école », elle a fini le trajet toute seule. Et d'ajouter que c'était jour de marché, et que ça sentait bon le poulet rôti et les épices !

A 15h15, c'est moi qui descends la chercher. A pied car la voiture est partie ailleurs, avec un autre que moi. Le marché conclu prévoyait que ce soit à nouveau son frère qui aille, et qu'ils remontent au bus de 15h50... Mais le frère étant entretemps redescendu (à vélo cette fois) au marché (ben oui, le poulet rôti...), ayant préparé le dîner et ayant repassé de longues heures, tout cela de sa propre initiative, j'ai trouvé loyal de lui proposer un nouveau petit marché conclu : c'est moi qui descendrais reprendre Lykka. (Je précise qu'il me faut environ 22 à 23 minutes à pied pour rejoindre son école en descendant ; donc avec elle ça peut faire 25 à 30 minutes, surtout en remontant... L'alternative étant le bus : à l'aller 8-9 minutes à pied, deux arrêts en bus, 1 minute 30 re-à pied, mais au retour il faut attendre le bus une demi-heure environ...)

Bref ! M'y voilà (à la sortie de l'école) et la re-voilà. Et comme je déteste attendre un bus alors que sur le temps de l'attente on pourrait remonter à pied jusqu'à la maison (et que de toute façon je préfère mille fois la marche à tout autre moyen de locomotion), je lui propose... un petit marché conclu : je lui paie un quatre heures et on remonte à pied ! Ca marche, c'est conclu.

Et puis... ce qui se produit, comme chaque fois, m'émerveille. Quand on marche avec un.e enfant, sans autre but que se déplacer d'un point à un autre, il se passe presque toujours ça : l'enfant se met à parler. Et si on l'écoute, elle continue à parler. Souvent, elle parle d'elle, de ce qu'elle pense, ce qu'elle imagine, ce qu'elle rêve... On reçoit, dans ces moments suspendus entre deux lieux, ses pensées, ses (presque) confidences, ses demandes... Et ne voilà-t-il pas qu'elle me confie, en remontant, qu'en fait... elle adore aller à pied à l'école ! Et qu'elle a croisé Annick du musée (coucou Annick !), mais de l'autre côté de la rue, alors elle n'a pas parlé avec, et puis elle a croisé C., une fille de cinquième, parce qu'elle habite un appartement au centre, alors elle va toujours à pied, et qu'elles ont parlé ensemble... Et est-ce qu'elle pourrait encore aller à pied à l'école ? Et quand elle sera en cinquième, est-ce qu'elle pourrait aller toute seule à l'école ? « Parce que, bon, après trois mois de confinement avec ma famille, j'ai bien le droit d'être un peu seule ! » 

C'est bien elle, c'est tout à fait elle ! Elle qui, soit dit en passant, à la reprise post-confinement (il y a 10 jours), ne voulait absolument pas remonter à pied de l'école, quand j'avais soumis l'idée pour réduire l'utilisation de la voiture... « En voiture ou en bus, tout mais PAS à pied ! » Et ce jour, loin de mes arguments écolo-machin-trucs en faveur des déplacements à pied, elle a fait une nouvelle expérience. Seule. Et elle a trouvé ça cool. Et elle a ressenti par et pour elle-même ce qu'elle pouvait y trouver : la joie de la solitude et l'autonomie. Elle a aimé. Moi, c'est ce que j'ai toujours pensé et esssayé de communiquer... Mais là, c'était différent : elle l'avait elle-même expérimenté, éprouvé. Et c'était bingo. Et comme on devisait gaiement en remontant, elle s'est réjouie que je sois d'accord qu'elle puisse aller seule à pied à l'école l'année prochaine, du moins quand il fait clair le matin. Et que les lundis, elle puisse rejoindre son cours de formation musicale au Waux-Hall seule à pied après l'école. Elle s'est réjouie de grandir, de gagner en autonomie, en choses qu'on peut faire sans ses parents.

A la fin de l'itinéraire, je lui ai proposé qu'elle finisse le trajet seule par une rue, je prendrais une autre. Un marché immédiatement conclu ! Je suis rentrée un peu après elle à la maison. J'ai trouvé un petit mot sur la table : « coucou maman, je suis sur le ravel. je te prépare une surprise ! Lykka ». Une demi-heure après, elle me servait un ravier de fraises des bois (cueillies sur le Ravel) sur un plateau, accompagné de petits coeurs et d'un thé des Amoureux dans ma tasse préférée. Tout ce que j'aime, et tout super délicieux !


Cette petite et anecdotique histoire racontée longuement (vous êtes toujours là?) parle en fait simplement des besoins d'autonomie et de liberté des enfants, qu'il nous faut célébrer et encourager ! Peut-être un peu (vachement?) à contre-courant, d'ailleurs, de la société, l'école, les gens... Des auteurs que j'aime parle chouettement de ces besoins (John Holt, par exemple...) ; et les écoles démocratiques (que j'adore) les placent au centre de tout. Cela m'inspire...

Et donc demain matin, je repars à pied, l'accompagner jusqu'à mi-parcours. A pied, et sans devoir la forcer ! Youpie !! (Et puis en rentrant, je relancerai mon échevin de la mobilité à propos des passages piétonniers que je sollicite depuis l'année dernière dans mon quartier. Pour que les enfants, miens et autres, puissent y jouir de leur autonomie et leur liberté... en toute sécurité !)

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