Le sourire, indispensable gage de notre humanité

 

Un jour récent, les circonstances font que ma fille (5e primaire) arrive seulement en début d'après-midi à l'école.

Quand elle rentre à la maison ce jour-là, je lui demande, un peu badine, si Madame X l'a accueillie avec un grand sourire quand elle est arrivée en classe. Elle me répond « mais Maman...! », en faisant un geste de la main un peu flou devant son visage – et avec un air suggérant que je suis idiote de poser cette question (mince, ai-je gaffé...?). Et... je dois lui paraitre encore un peu plus idiote (hum, mauvais pour mon statut de meilleure maman du monde, ça...), car... je ne vois pas ce qu'elle veut dire. Je lui dis que je ne comprends pas. Logiquement, elle lève les yeux au ciel, et me répond d'une flèche : « mais Maman ! Le masque ! Avec le masque, je ne sais pas si elle sourit ou pas !! »

Boum patatra. J'en reste sans voix.

Je réalise ainsi brusquement que, depuis la dernière rentrée des classes (sous code jaune puis rouge), soit depuis plus de six mois, ma fille côtoie plusieurs heures par jour une personne adulte (censée par son rôle être, si pas toujours figure d'attachement, du moins figure de référence) dont elle ne peut déterminer si elle sourit ou pas.

Bien sûr, bien sûr je savais et sais que le langage non-verbal constitue l'essentiel de la communication entre les personnes (environ 80%, admet-on généralement). Bien sûr, comme d'autres, j'ai été consternée et inquiète que ma fille doive reprendre l'école dans des conditions assez strictes, notamment de places fixes, de lavages intensifs et vérifiés des mains, d'enseignant·es masqué·es. On sait, je savais que cela impacterait les enfants, certainement pas dans le sens du bien-être.

Mais les jours, puis les semaines et les mois, passent, et... on s'habitue à tout... (chante Renan Luce).

 

Alors ce jour-là, tout à coup, avec la réponse fulgurante de ma fille « mais Maman ! Le masque ! Avec le masque, je ne sais pas si elle sourit ou pas !! », je me suis prise en pleine figure un des indices de ce mal-être qu'elle ressent, et que (permettez-moi d'en être convaincue, sans m'accuser de généralisation excessive) tous les enfants ressentent. Dans les écoles, dans les loisirs (ce qu'il en reste...), parfois même dans leur famille élargie : les enfants côtoient, depuis de trop longs mois, des adultes masqué·es. Sans donc jamais pouvoir capter une part essentielle de leur communication, celle qui passe par l'expression du visage.

Le sourire n'est-il pourtant pas le gage (immédiat, spontané, quotidien) de notre humanité ? Dans ce cas, je vous laisse compléter : si sourire est le gage de notre humanité, alors masquer les sourires est le gage de notre...

 

Mon billet n'est pas très drôle, j'en conviens. J'aurais pu essayer de piocher ailleurs, dans d'autres moments quotidiens plus drôles ou joyeux – des fous-rires le soir parce que Papa fait l'imbécile ; le puzzle de 1.000 pièces réalisé en quatre jours ; ... et je peine déjà un peu à me souvenir, immédiatement, de moments vraiment joyeux.

La vraie joie a disparu de nos quotidiens. Même les enfants peinent à y rester connecté·es – pourtant on ne cesse de répéter qu'elles·ils ont de la chance, en maternelle et primaire, les écoles sont restées ouvertes...

On survit. On subit. Et tout ce temps, on baigne en pleine inhumanité.

J'ai dû mal à conclure. Une petite envolée sur le rêve qu'un jour, tou·tes les enseignant·es du pays arrachent leur masque et sourient pleinement aux enfants ? Mwouais. Tellement peu probable... Une petite percée militante, il faut secouer le cocotier, interpeller les politiques ? Re-mwouais. Déjà fait. Epuisant sans résultats. Du bla-bla.

Quoi d'autre donc pour que les choses changent ? Combien de temps encore cette nage forcée dans le marasme, la résignation, l'inhumanité... ?


PS : Pitié, pitié, ne (me) répondez pas à ces dernières questions en tentant de montrer que c'est déjà formidable de pouvoir faire ceci, que c'est merveilleux de pouvoir faire cela, et que ça ira... La question n'est pas de savoir si nous arrivons à préserver des petites parcelles de joie, des petites pointes d'espoir. La question est de savoir quand nous déciderons, dans ce pays et ailleurs, de rendre leurs sourires aux enseignant·es, aux ados, aux commerçant·es, aux accompagnateur·ses de trains, aux infirmier·es... aux gens, à tous ces gens que les enfants et nous rencontrons quotidiennement ! C'est à ce moment seulement que nous commencerons à recouvrer une part essentielle de notre humanité.

 

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